12 - 13 décembre 1981

Nous étions une vingtaine de personnes réunies chez Antoine Baudin, un historien d’art. Antoine a une grande connaissance de la problématique polonaise et russe, c’est un érudit qui parle le russe et le polonais et dont l’histoire et plus particulièrement l’histoire de l’art soviétique n’ont pas de secrets. Le 12 décembre c’est le jour de mon anniversaire, mais en cette année 1981 c’était également le dernier jour de la visite d’une délégation du premier syndicat libre du bloc communiste, « Solidarnosc », en Suisse. Il ne s’agissait pas seulement d’un syndicat, comme on entend au sens connu en occident, mais véritablement d’un mouvement social qui a bouleversé les pays du bloc communiste de l’époque et qui faisait entrevoir un espoir de liberté au peuple polonais et par la suite aux autres pays sous ce régime.

La visite d’une quinzaine de personnes a duré déjà depuis quelque temps et j’ai été appelé à servir d’interprète dans de nombreuses réunions et contacts avec les journalistes, politiciens ou simples citoyens. Les militants présents dans cette délégation faisaient partie des organes dirigeants de ce mouvement.

Les journées étaient bien remplies et la curiosité des certains partis politiques, syndicats et autres organismes était palpable.

Nous étions également absorbés à récolter une aide pour les personnes en difficulté en Pologne dans ce moment palpitant, mais difficile à vivre au quotidien.

Mais revenons à ce dernier jour de leur séjour en Suisse, car le lendemain ils devaient prendre l’avion pour rentrer en Pologne et continuer leur lutte.

La générosité d’Antoine et de on épouse nous a permis de passer une belle soirée autour d’un repas et bien évidement j’ai pris ma guitare pour chanter avec les invités polonais quelques chansons de lutte et d’espoir.

Mais les nouvelles commençaient à être inquiétantes.

D’abord par téléphone, puis justement par manque de contact téléphonique avec la Pologne.

La radio suisse annonçait aussi des nouvelles confuses, mais de plus en plus dramatiques.

La nuit avançait et il n’était plus question de mon anniversaire, ni de la fête d’au revoir aux invités polonais, mais d’angoisse et d’un certain sentiment d’impuissance face aux événements.

Le destin de la Pologne vacilla cette nuit. Les destins des membres de la délégation également. Ils ont tous eu les familles qui sont restées au pays, comme du reste la mienne. Nous étions sans aucune nouvelle d’eux. Le général à la tête du régime a annoncé l’État de guerre. Toutes les communications ayant été coupées, c’est bien plus tard que nous apprenions les conséquences de cet acte. Milliers de personnes internées, la suspension de toutes les libertés. Le rêve initié par « Solidarnosc » se trouvant gelé pour quelques années encore.

L’avion que la délégation devait prendre le lendemain n’est jamais venu.

Il fallait dans l’urgence trouver une solution.

Aujourd’hui, c’est exactement quarante ans plus tard.

La Pologne, comme beaucoup d’autres pays qui ont connu ce régime sont libres.

Mais cette nuit du 12 au 13 décembre reste à jamais gravée dans ma mémoire.

Si le cœur vous en dit. Mettez une bougie à la fenêtre ce soir. Pendant des années qui ont suivi cette terrible nuit, c’était un signe d’espoir. Certains d’entre vous se souviennent peut-être que cela a été aussi le cas en Suisse en solidarité avec la Pologne. Mais je raconterai peut-être cette histoire une autre fois.

Marek Mogilewicz

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Sur la photo, Marek Mogilewicz chante sur la Place Fédérale, devant le Parlement à Berne. Derrière lui se trouve celle qui allait devenir première femme Présidente de la Confédération.

Chansons de cette période qui proviennent d’une cassette vendue au profit de « Solidarnosc »

 

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